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Le reconverti

L'adieu

9 Août 2014 , Rédigé par TGritte

L'adieu

« - Alors ?- Me dit Hayder, le sourire aux lèvres. - Ne t’avais-je pas dit que nous nous retrouverions à la fin du Hajj, que tes problèmes seraient résolus ?

- Oui.- lui dis-je.

- Allah nous purifie à travers la tribulation, à travers ce que tu as enduré au début Allah t’a nettoyé avant de te purifier complètement à travers le Hajj. Il t’a mis dans un hôtel meilleur que le mien, en face du Haram ! Tu t’en rends compte ? Parmi tous les Vénézuéliens qui sont chez toi, Allah a dit : « Celui-là est pour moi, celui-là, je vais l’emmener dans ma Maison ! » Les voies de Dieu sont comme cela… Qu’en as- tu pensé ? De ton voyage… De La Mecque ?

- C’était magnifique. Sobre et magnifique !

- Les rites d’Allah sont faits pour l’Homme car Allah n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin de Lui ! Mais les gens ne comprennent pas… Les gens ne pensent qu’aux biens matériels… Regarde cette ville. C’est une ville sainte et pourtant, c’est sale ! Il y a des détritus partout, des ordures… Et pourquoi ? Parce que les gens ne pensent qu’aux affaires qu’ils font et perdent de vue qu’ils habitent dans une ville sainte. Le prophète nous a appris à être propres, à nous laver cinq fois par jour et ces gens-là laissent que les ordures s’accumulent… Ils font des centres commerciaux autour du Haram et délaissent les abords, laissant que les détritus s’y amoncellent… Je vais te dire une chose : ce ne sont pas des croyants. Ce n’est pas là un comportement de croyant mais Allah sait mieux que moi et Allah jugera chacun selon les mérites qu’il aura accumulés.

- Allah est le connaissant du cœur des hommes.

- Tu sais- me dit Hayder - pour être musulman, il ne faut pas aller par quatre chemins. Soit on l’est, soit on ne l’est pas ! »

Le bus qui était censé les emmener à l’aéroport arriva, je pris congé de tous ces frères avec qui j’avais cohabité pendant dix-sept jours, dix-sept jours qui semblaient avoir été une éternité riche en émotions et en apprentissages. Ils montaient pour rejoindre leurs vies, très probablement nous ne nous reverrions plus mais le partage de ces jours avec eux fut, pour moi, très enrichissant. Ainsi va la vie : un espace, un temps et des personnes qui agissent entre elles. Une fois que la raison profonde pour laquelle les gens avaient été mis ensemble disparaît, Allah les disperse et les soumet à d’autres épreuves dans d’autres lieux, avec d’autres personnes. Au bout du compte, chacun est seul avec Allah.

Je traversai la rue et pris un taxi pour qu’il m’emmène au bureau des Mutawifs qui s’occupaient de moi. Dans le taxi, le chauffeur écoutait la récitation du Coran. C’était un Saoudien.

« - Salam wa aleikum.

-Wa aleikum salam…

- Pour aller au bureau des Mutawifs s’il vous plaît.

- Oui montez… »

Je m’installai dans la voiture et le Monsieur me dit :

« - Le Haram est beau n’est-ce pas ?

- Absolument.

- L’Islam est une belle religion, on se sent en paix… Vous êtes sunite ?

- Oui.

- C’est bien… Il y a des Shiites qui viennent ici, ce sont des shaiatins[1]. Ils ont séparé la communauté des croyants. Vous êtes d’où ?

- Du Venezuela.

- Ah… Le Venezuela…

- Il y a beaucoup de musulmans là-bas ?

- Non, nous sommes une petite communauté.

- Vous êtes béni vous savez ? Parce que c’est Allah qui a voulu que vous soyez musulman. Allah dit dans le Coran : Allah guide celui qu’il veut et égare celui qu’il veut. Vous, il vous a guidé.

- Alhamdulilah !

-Alhamdulilah, oui… Je ne suis presque jamais sorti de l’Arabie Saoudite moi. Une fois je suis allé en Allemagne… C’est joli, l’Allemagne, c’est vert. Mon père est tombé malade et j’ai dû l’accompagner là-bas. Mais, vous savez ? En Allemagne, les gens forniquent dans les parcs ! Ils se mettent derrière les arbustes et puis ils forniquent… C’est la dégénération des mécréants. Ils ont des établissements où ils boivent de l’alcool et où ils vont chercher des femmes… Ce sont des shayatins ! Dans votre pays il y a des discothèques aussi ou la loi est la Sharia ?

- Non, dans mon pays il y a des discothèques…

- Et les gens forniquent dans les parcs ?

- Pas dans les parcs, mais les mœurs sont à peu près les mêmes que les mœurs occidentales… »

Je ressentais de la honte en pensant à tous ces hôtels du Rosal et de l’autoroute panaméricaine qui étaient remplis tous les week-ends de tous les fornicateurs et adultérins de Caracas dont j’avais moi-même fait partie.

« - Vous avez visité Médine ?

- Non, je n’ai pas pu. J’ai eu des problèmes au début de mon séjour…

-Oh… Cela est regrettable… Très regrettable… Vous n’auriez pas dû avoir de problème dans votre séjour. Vous payez cher pour venir ici ! C’est le travail des Mutawifs de faire que tous les pèlerins visitent les lieux saints. Mais vous savez, beaucoup de Mutawifs ne font pas leur travail… C’est vraiment très regrettable… Ce sont des Shayatins ! »

Le taxi s’arrêta devant le bureau des Mutawifs. Je descendis et, après avoir pris congé de mon chauffeur de taxi, entrai dans la maison où je reconnus Mohammed qui me présenta aux autres guides. Ils me dirent que je pouvais laisser mes valises dans la maison mais que pour dormir je pouvais aller dans la Mosquée. Je me dis que, finalement, ce n’était pas une mauvaise idée. J’allais passer ma dernière nuit dans le Haram, seul avec Allah. La Mecque semblait pour moi maintenant différente : J’avais fait ce que j’étais venu faire, et j’en étais reconnaissant à Dieu pour cela. Une nuit, seul, dans le Haram me convenait à merveille, j’allais avoir le temps de prier, de faire de l’introspection et de faire les circumambulations de l’adieu avant de quitter la ville sainte. Mes compagnons étaient désormais partis et très probablement nous ne nous verrions plus. Au Jour du Jugement, lorsqu’Allah le très haut mettra un pont entre les plaines rougeâtres où se tiendra nue l’humanité et les portes du Paradis, certains d’entre nous tomberons dans la Géhenne à cause de nos mauvaises actions, de la rupture des liens familiaux et du non-respect de la chose confiée. Le prophète intercédera en faveur de ceux qui ont cru et Allah enverra les croyants délivrer leurs frères du feu. Il se peut que dans la vie je fléchisse et que ce laisser-aller me fasse tomber lorsque j’essayerai de traverser le pont. Il se peut que mes frères fléchissent et que ce soit moi qui aille leur porter secours en disant : « Allah ! Hayder a fait le Hajj avec moi ! Jamil a fait le Hajj avec moi, il m’a offert un tapis de prière ! Slimane m’a accompagné et a allégé le poids de la tribulation pour moi ! Aie pitié d’eux ! » Quoi qu’il en soit, j’aimerais avoir l’occasion de les voir au Paradis et de jouir de leur excellente compagnie dans ces jardins où coulent le lait et l’eau pure… Dans ces lieux où l’abondance et de mise et où on ne profère pas de mauvaises paroles… Où les maisons sont en briques d’or et d’argent… Où les houris ont de grands yeux enivrants mais qui ne déçoivent point, où on sera à jamais dans la paix et la proximité de notre Créateur.

À travers les colonnes de l’enceinte sacrée je vois le premier temple d’Abraham et les fidèles qui tournent autour. Quelle paix se dégage de cette vision ! Quel amour indicible ! Quelle intimité irrationnelle mais pourtant bel et bien présente !

La porte du Hajj s’est ouverte pour moi et, avec le pardon de Dieu, se sont ouvertes les autres portes : La porte de la Prière, la porte du Jeûne, la porte de la Charité, la porte de la Foi, la Porte de ceux qui se rappellent d’Allah. Je ne sais pas si les deux autres se sont ouvertes, mais enfin, cinq portes sur sept… Je ne l’aurais jamais pensé. Si je mourais maintenant, j’irais au Paradis !

« Oh Seigneur laisse nous vivre tant que cela est bon pour notre âme et rappelle-nous à toi dès que notre vie ne sera plus utile à notre âme ! »

Je trouve un coin agréable à l’étage supérieur de la Mosquée pour dormir. Je ne suis pas le seul à dormir dans la Mosquée et quelle que soit l’heure il y a toujours des fidèles qui tournent autour de la Kaaba. Vers trois heures du matin je me réveille, je sors faire mes ablutions et entreprends de faire les circumambulations de l’Adieu. Je ressens à la fois une reconnaissance infinie et de la tristesse. En attendant le fajr, je fais tahajjud[2]. Vers quatre heures et demie du matin, j’entends l’appel de la prière et les fidèles commencent à affluer. C’est ma dernière prière à La Mecque et je ressens une grosse boule dans la gorge. L’Imam récite la Fatiha[3]et puis enchaîne les versets suivants :

14. Ceux qui croient et font de bonnes œuvres, Allah les fait entrer aux Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, car Allah fait certes ce qu’Il veut.

15. Celui qui pense qu’Allah ne le secourra pas dans l’ici-bas et dans l’au-delà qu’il tende une corde jusqu’au ciel, puis qu’il la coupe, et qu’il voie si sa ruse va faire disparaître ce qui l’enrage.

16. C’est ainsi que Nous le fîmes descendre (Le Coran) en versets clairs et qu’Allah guide qui Il veut.

17. Certes, ceux qui ont cru, les Juifs, les Sabéens, les Nazaréens, les Mages et ceux qui donnent à Allah des associés, Allah tranchera entre eux le jour du Jugement, car Allah est certes témoin de toute chose.

18. N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? Il y en a aussi beaucoup qui méritent le châtiment. Et quiconque Allah avilit n’a personne pour l’honorer, car Allah fait ce qu’il veut.

19. Voici deux clans adverses qui disputaient au sujet de leur Seigneur. A ceux qui ne croient pas, on taillera des vêtements de feu, tandis que sur leurs têtes on versera de l’eau bouillante,

20. qui fera fondre ce qui est dans leurs ventres de même que leurs peaux.

21. Et il y aura pour eux des maillets de fer.

22. Toutes les fois qu’ils voudront en sortir (pour échapper) à la détresse, on les y remettra et (on leur dira) : «Goûtez au châtiment de la Fournaise. »

23. Certes Allah introduit ceux qui croient et font de bonnes œuvres aux Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux. Là, ils seront parés de bracelets d’or, et aussi de perles ; et leurs vêtements y seront de soie.

24. Ils ont été guidés vers la bonne parole et ils ont été guidés vers le chemin Du Digne des louanges.

25. Mais ceux qui mécroient et qui obstruent le sentier d’Allah et celui de la Mosquée sacrée, que Nous avons établie pour les gens : aussi bien les résidents que ceux de passage… Quiconque cherche à y commettre un sacrilège injustement, Nous lui ferons goûter un châtiment douloureux,

26. Et quand Nous indiquâmes pour Abraham le lieu de la Maison (La Kaaba) [en lui disant] : «Ne M’associe rien ; et purifie Ma Maison pour ceux qui tournent autour, pour ceux qui s’y tiennent debout et pour ceux qui s’y inclinent et se prosternent».

27. Et fais aux gens une annonce pour le Hajj. Ils viendront vers toi, à pied, et aussi sur toute monture, venant de tout chemin éloigné,

28. pour participer aux avantages qui leur ont été accordés et pour invoquer le nom d’Allah aux jours fixés, sur la bête de cheptel qu’Il leur a attribuée, «Mangez-en vous-mêmes et faites-en manger le besogneux misérable. »

29. Puis qu’ils mettent fin à leurs interdits (qu’ils nettoient leurs corps), qu’ils remplissent leurs vœux, et qu’ils fassent les circuits autour de l’Antique Maison».

30. Voilà [ce qui doit être observé] et quiconque prend en haute considération les limites sacrées d’Allah cela lui sera meilleur auprès de son Seigneur. Le bétail, sauf ce qu’on vous a cité, vous a été rendu licite. Abstenez-vous de la souillure des idoles et abstenez-vous des paroles mensongères.

31. (Soyez) exclusivement [acquis à la religion] d’Allah, ne Lui associez rien ; car quiconque associe à Allah, c’est comme s’il tombait du haut du ciel et que les oiseaux le happaient, ou que le vent le précipitait dans un abîme très profond.

32. Voilà [ce qui est prescrit]. Et quiconque exalte les injonctions sacrées d’Allah, s’inspire en effet de la piété des cœurs.

33. [De ces bêtes-là] vous tirez des avantages jusqu’à un terme fixé ; puis leur lieu d’immolation est auprès de l’Antique Maison.

34. À chaque communauté, Nous avons assigné un rite sacrificiel, afin qu’ils prononcent le nom d’Allah sur la bête de cheptel qu’Il leur a attribuée. Votre Dieu est certes un Dieu unique. Soumettez-vous donc à Lui. Et fais bonne annonce à ceux qui s’humilient,

35. Ceux dont les cœurs frémissent quand le nom d’Allah est mentionné, ceux qui endurent ce qui les atteint et ceux qui accomplissent la Ṣalāt [4]et dépensent de ce que Nous leur avons attribué.

36. Nous vous avons désigné les chameaux (et les vaches) bien portants pour certains rites établis par Allah. Il y a en eux pour vous un bien. Prononcez donc sur eux le nom d’Allah, quand ils ont eu la patte attachée, [prêts à être immolés]. Puis, lorsqu’ils gisent sur le flanc, mangez-en, et nourrissez-en le besogneux discret et le mendiant. Ainsi Nous vous les avons assujettis afin que vous soyez reconnaissants.

37. Ni leurs chairs ni leurs sangs n’atteindront Allah, mais ce qui L’atteint de votre part c’est la piété. Ainsi vous les a-t-Il assujettis afin que vous proclamie
z la grandeur d’Allah, pour vous avoir mis sur le droit chemin. Et annonce la bonne nouvelle aux bienfaisants. »

Le jour commence à se lever et je quitte La Mecque, reconnaissant, lavé et purifié.

Certes, Allah est le plus grand !

[1] Démons.

[2] Prière surérogatoire nocturne

[3] L’Ouverture: première sourate du Coran

[4] La prière

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