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Le reconverti

Muzdalifa

6 Août 2014 , Rédigé par TGritte

Muzdalifa

Nous n’avons pas pu avoir de place assise dans le bus, alors nous bavardons debout et nous regardons Muzdalifa à travers les fenêtres du bus. La première image qui est venue à mon esprit est celle d’un camp de concentration. Il s’agit d’une grande esplanade noirâtre séparée en espaces similaires par des grillages au milieu desquels sont aménagées des toilettes publiques. Les pèlerins, femmes et hommes, sont couchés par terre. Progressivement, le Hajj nous abaisse dans notre ego. Nous arrivons à l’hôtel où nous devons partager notre chambre avec trois voir quatre autres frères, puis nous arrivons à Mina où nous cohabitons avec une vingtaine de personnes, à Arafat nous n’avons plus de climatisation et nous passons la nuit à dormir par terre dans un espace au dépouillement extrême à Muzdalifa. Comme il se fait un bouchon énorme à cause de la concentration des bus, les jeunes et moi décidons de continuer le chemin à pied. Chaque emplacement à Muzdalifa est marqué avec un numéro, après cinq kilomètres nous arrivons au nôtre. Il y a des gens partout, il faut pratiquement enjamber les pèlerins qui dorment par terre pour essayer de trouver une place libre. Comme il n’y en a pas près de l’accès, nous commençons à monter la colline afin de trouver un endroit où nous pourrons éventuellement dormir. La nuit est bien avancée et nous commençons à ressentir les effets de la fatigue. Finalement, après avoir escaladé un peu la paroi de la colline, nous trouvons un emplacement agréable. Nous disposons par terre nos sacs de couchage et nos tapis de prière et tombons dans un sommeil profond. Quelques heures plus tard, mon réveil sonne. C’est l’heure du fajr. Je devrais descendre la colline pour aller faire mes ablutions mais je n’en ai pas le courage ; il faut passer par-dessus les gens, en tongs, faire la queue et puis revenir… Un des jeunes y va et ramène de l’eau pour tout le monde. Que Dieu le bénisse ! Nous nous disposons pour la prière et, vu mon âge, c’est à moi que revient la responsabilité d’être l’Imam. Je suis honoré par le statut et, de l’autre côté, je prends conscience que je ne suis plus un jeune. J’ai quarante ans, l’âge de la maturité. Je tourne mon visage en direction de la Kaaba, que Dieu m’a fait l’honneur de connaître en vie, et récite la sourate que m’inspire la vision de désolation que j’ai devant mes yeux :

Quand la terre tremblera d’un violent tremblement

Et que la terre fera sortir ses fardeaux

Et que l’Homme dira : « Qu’a-t-elle ? »

Ce jour-là, elle contera son histoire,

Selon ce que son Seigneur lui aura révélé

Ce jour-là, les gens sortiront séparément pour que soient montrées leurs œuvres.

Quiconque fait un bien fût-ce du poids d’un atome, le verra

Et quiconque fait un mal fût-ce du poids d’un atome le verra.[1]

Une fois que nous avons fini la prière, nous décidons de partir à pied vers Mina pour éviter d’être stressés et de perdre le calme dans le chaos qui se forme pour prendre les bus. Nous commençons donc notre marche au fur et à mesure que le soleil commence à poindre à l’horizon. Une grande multitude marche avec nous, certains portent le drapeau de leur pays afin d’éviter que les membres des groupes ne s’égarent. Malgré, le grand nombre de personnes qui se déplacent, à aucun moment il n’y a de la tension, personne ne pousse violemment, personne ne cherche à voler ni à profiter de la mixité dans laquelle on se trouve par la force des choses. Je n’ai jamais vu de ma vie une multitude aussi hétérogène se tenir aussi impeccablement dans ses déplacements. Après deux heures de marche nous arrivons à Mina. Aujourd’hui nous avons le choix : C’est le jour de la lapidation du grand Satan, soit nous lapidons et nous revenons à Mina en gardant toujours l’Ihram, soit, après la lapidation, nous partons à La Mecque faire les circumambulations et les sept allers et retours entre les collines de Safa et Marwa afin de pouvoir enlever l’Ihram et les interdictions mineures qui pèsent sur nous. Nous décidons de faire la deuxième option. Malgré la fatigue et le manque de sommeil nous nous sentons pleins d’énergie. À Mina nous retrouvons Jamil et Slimane qui décident de partir avec nous. Nous ramassons les petits cailloux qui vont nous servir pour la lapidation et, après les avoir mis dans une petite bouteille en plastique, nous prenons le chemin des Jamarat. En sortant de Mina nous rejoignons une foule de pèlerins qui s’amasse sur le chemin vers les Jamarat. Tout le monde est heureux et récite sans s’arrêter :

Labbayk Allahumma Labbayk, Labbayk Allah Sharika laka labbyk

Innal hamda wa ni’mata, laka wal mulk, la sharikalak

Une grande énergie nous gagne tous car nous allons lapider Satan.

« - Aujourd’hui, du point de vue spirituel, c’est un jour très difficile pour Satan – me dit Slimane.- Le monde lui a été donné afin qu’il mette l’Homme à l’épreuve. Mais aujourd’hui Allah le met à notre merci pour que nous lui rendions un peu de ce qu’il nous fait endurer… Tu vois, dans la vie, le démon, il se sert de l’émotionnel pour te malmener, il te déçoit. Il se sert de nos faiblesses contre nous-mêmes. Aujourd’hui c’est nous qui allons le malmener… Nous allons lui jeter des petites pierres, mais dans la monde spirituel chaque petite pierre c’est comme si tu lui arrachais la peau d’un coup de fouet et il doit vivre ça une fois par an, tous les ans ! Par les hommes qu’il déteste le plus : Les croyants ! Ceci afin que son existence même soit une déception pour lui, il est en vie jusqu’au jour du Jugement… Et bien tous les ans nous le ferons souffrir jusqu’au jour du Jugement ! Nous souffrons dans cette vie à cause de lui, mais nous mourrons et Allah nous donne le Paradis en échange de nos peines et d’autres prennent la relève, mais lui reste là jusqu’au Jour du Jugement pour après être châtié du plus vil des châtiments en Enfer d’où il n’en sortira jamais ! »

Plus nous nous approchons des Jamarat et plus l’ambiance devient électrique, un soldat de l’Armée Saoudienne crie : « Takbir ! » et la foule répond : « Allah huakbar ! Allah Huakbar ! Allah huakbar ! »[2] Nous arrivons finalement à l’enceinte où les trois murs qui représentent Satan sont érigés et, c’est une espèce de furie qui nous gagne. Nous nous dirigeons tous vers le grand Jamarat et après avoir dit « Au nom de Dieu » nous nous mettons à lapider Satan de toute notre force. Oui, je sais maintenant que tu existes et que tu te complais à nous humilier et à nous faire souffrir en nous retournant les uns contre les autres, en nous incitant au vice… Tu encenses les choses qui séduisent les sens et, par leur intermédiaire, tu réduis les hommes en esclavage. Tu nous murmures des paroles maudites afin d’éveiller en nous des basses passions qui nous mènent à la perdition. Quand nous sommes forts, tu te fais petit pour inspirer la sympathie et la pitié afin de nous manipuler et nous humilier, mais une fois que nous sommes sous ta coupe tu es un tyran vis-à-vis de nous. Tu ne te montres pas car ton artifice le plus efficace est d’avoir fait penser aux gens que tu n’es que légende et que tu n’existes pas, comme cela, ils baissent la garde et te suivent, aveugles et inconscients. Mais aujourd’hui, nous tous qui sommes ici… Ces sept millions de personnes qu’Allah a choisies pour venir te lapider cette année, nous venons te rendre ce que tu fais à l’humanité tout entière. Car nous, nous savons que tu existes ! Nous savons que tu murmures sans arrêt ! Nous savons que tu manipules les aveugles et qu’après tu les nies ! Nous savons que tu es un maudit et aujourd’hui nous te lapidons comme on lapide un maudit ! Nous ne savons pas comment, mais nous savons que tu es attaché à ce mur et que chaque petite pierre que nous lançons t’es insupportable, goûte donc ce que tu fais toi-même à nous et à nos frères ! Aujourd’hui nous te renions comme tu nous renies, nous te décevons, comme tu nous déçois, nous te révélons alors que tu te caches et que nos yeux ne perçoivent pas l’invisible. Certes, Dieu est le plus grand !

Après avoir jeté nos cailloux contre le mur, nous nous frayons un chemin dans la foule et nous sortons de l’enceinte où sont les Jamarat et prenons la route à pied pour La Mecque. La circulation automobile a été arrêtée vu le monde qui circule à pied. Slimane est à mes côtés.

« - Quand je pense que ma mère a fait ça… »- me dit-il, les yeux humides. Vu l’effort que le Hajj représente pour nous qui sommes des hommes, j’imagine ce que cela doit être pour une femme. Ce n’est pas pour rien que le Prophète (PSL), lorsqu’Aïcha lui demanda si les femmes pouvaient faire le Djihad[3], dit : « Le Djihad de la femme c’est le Hajj ».

Je pensais à la rupture de la vie de Slimane : né au Maroc mais habitant les Pays-Bas. Ce n’était pas un cas isolé mais c’était quand même regrettable de devoir quitter son pays parce qu’il est gouverné par une bande de chiens hypocrites qui se mettent à la botte des compagnies et des gouvernements occidentaux. Aussi bien que l’on puisse être dans un pays étranger, on y est toujours un étranger et tous les euros et les dollars du monde ne peuvent pas acheter la dignité d’un homme. Slimane était professeur de mathématiques aux Pays-Bas, il gagnait bien sa vie, avait deux filles mais il avait le mal du pays… Sa mère était restée au Maroc, elle ne voulait peut-être pas le suivre aux Pays-Bas et c’était compréhensible. Peut-être Slimane pensait des fois à retourner mais maintenant c’était difficile… Ses filles ne s’y habitueraient pas, elles parlaient peut-être mal l’Arabe… Sa femme était habituée aux Pays-Bas. Il était, comme beaucoup, déchiré entre son pays d’origine et son pays d’accueil. J’avais vécu cela, je le comprenais. Au bout du compte on finit par n’appartenir à nulle part. La mère de Slimane avait souffert en faisant le Hajj, sans doute, mais elle l’avait fait. Une porte du Paradis était ouverte désormais pour elle. Moi je pensais à ma mère qui ne croyait à rien et, tout à coup, je fus triste. Parce que le jour du Jugement ceux qui ne croient à rien seront balancés sans ménagement dans la Géhenne et je n’aimerais pas que cela arrive à ma mère, mais je ne peux rien faire. C’est Allah qui guide, nous, on ne fait qu’inciter nos proches à suivre le chemin droit mais, en dernière instance, c’est Allah qui inscrit la foi dans le cœur de ses esclaves.

« - J’espère qu’Allah fera entrer la foi dans le cœur de ta mère. – me dit Slimane. »

Je ne peux m’empêcher de pleurer. Nous sommes ensemble physiquement mais nous sommes seuls dans notre devoir. La véritable compagnie ne se verra qu’après le Jugement, quand les iniques se rejetteront la culpabilité de leur incroyance les uns sur les autres tandis que les anges les traîneront en Enfer et lorsque les Croyants revendiqueront la foi de leurs frères avant d’entrer dans les Jardins pour ne plus souffrir, pour être à jamais dans la paix de la meilleure des compagnies ! La masse dont nous faisons partie se déverse sur la rue en direction de La Mecque. J’appelle le Mutawif et, dans un Arabe approximatif, lui dis que je viens de lapider Satan. Je comprends qu’il va le dire à son père afin qu’il fasse le sacrifice en mon nom. Devant moi marchent des hommes, des femmes, des personnes âgées, des jeunes, des gens de tous les pays, de toutes les langues. Comme nous ne portons pas de sous-vêtements, je vois que certains frères marchent péniblement des kilomètres, tout cela en vue du Pardon, tout cela en vue de la face de Dieu. Je ressens de l’amour, un grand amour pour tous ces gens qui se retrouvent malgré eux dans un système indigne et qui font cependant l’effort physique et financier de venir ici tout simplement parce que Dieu l’a ordonné et que le prophète l’a fait. Quand nous arrivons à La Mecque, nous nous unissons à une marée humaine beaucoup plus importante qui se dirige vers le Haram. Les premiers étages sont pratiquement saturés de pèlerins qui font le rite de la circumambulations, nous nous dirigeons vers l’étage supérieur où il y a un peu plus de place et nous commençons à marcher autour de la Kaaba en faisant des rogations personnelles sauf lorsque nous arrivons à l’angle du Yémen où, comme tout le monde, nous disons :

Rabana a’tina fi dunya hasana

Wa min al ahirati hasana

Wa quina adabal nar[4]

Une fois que nous complétons les sept tours autour de la Kaaba, nous allons prier derrière la station d’Ibrahim et puis nous allons faire les sept allers et retours entre les deux collines de Safa et Marwa.

As-Safa et Al Marwah sont vraiment parmi les lieux sacrés d’Allah.

Donc quiconque fait le pèlerinage à la Maison ou fait l’Oumra

Ne commet pas de péché en faisant le va-et-vient entre ces deux monts.

Et quiconque fait de son propre gré une bonne œuvre,

Alors Allah est Reconnaissant, Omniscient.

[Coran 2 : 158]

Après que le rituel est accompli, nous sortons de l’enceinte sacrée. Je reçois un appel du Mutawif qui me dit que son père a effectué le sacrifice. Allah a transféré mes péchés sur l’animal qui a été égorgé en mon nom afin que je pusse être épargné du châtiment divin. En ce moment même, l’animal était très probablement en train d’être dépecé afin d’être distribué en tant que nourriture pour les pauvres. Je ressentis un lien invisible entre cet animal et moi. Maintenant je pouvais raser ma tête car voici qu’Allah, à travers ce sacrifice et à travers les différents rites que j’avais effectués, avait rendu mon âme pure à nouveau, comme celle d’un nouveau né. Avec la tête tondue, les interdictions mineures étaient levées ; je pouvais maintenant me doucher, mettre du parfum et des habits civils. Les rites du Hajj n’étaient pas pour autant finis. Nous ne pouvions pas dormir à La Mecque, nous devions retourner à pied à Mina afin de lapider encore pendant deux jours avant de pouvoir rentrer dormir à La Mecque étant devenus Hajji pour de bon, avec l’aide de Dieu.

[1] Sourate 99 Le Tremblement.

[2] Dieu est le plus grand

[3] L’effort, la guerre au nom de Dieu.

[4] Ô Seigneur, bénis-nous dans la vie d’ici bas, bénis-nous dans la vie future et préserve-nous du châtiment du feu.

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